Impunité ou justice sélective au Tchad : perception populaire et réalités d’un système en crise

Au Tchad, les notions de justice et d’équité font l’objet de débats intenses, tant dans les cercles intellectuels que dans la rue. Entre dénonciation d’une justice à double vitesse et constats d’impunité chronique, la confiance de la population envers les institutions judiciaires s’effrite dangereusement. Cette crise de légitimité soulève une question brûlante : assiste-t-on à une justice sélective, ou à un système rongé par l’impunité ?

Une justice à géométrie variable

Dans les quartiers populaires de N’Djamena, le sentiment d’injustice est presque palpable. Beaucoup estiment que la loi ne s’applique pas de la même manière selon que l’on soit citoyen ordinaire ou membre de l’élite politico-militaire. « Si vous n’avez pas de bras longs, vous pouvez croupir en prison pour un simple vol de téléphone, alors que certains hauts responsables échappent aux poursuites malgré des accusations graves », témoigne Adoum Mahamat, un juriste indépendant.

Des affaires emblématiques viennent illustrer ces propos. Le traitement réservé aux militaires ou proches du pouvoir impliqués dans des homicides, des détournements de fonds ou des exactions, contraste souvent avec la sévérité infligée aux manifestants ou opposants politiques. Des rapports d’organisations de défense des droits humains pointent régulièrement des dysfonctionnements structurels, notamment l’ingérence du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires.

L’impunité : un héritage politique

L’impunité au Tchad ne date pas d’hier. Elle trouve ses racines dans des décennies de gouvernance autoritaire, où les intérêts politiques primaient sur les exigences de justice. Sous le régime de feu Idriss Déby Itno, plusieurs cas de violations graves des droits humains sont restés sans suite judiciaire. Le système actuelle, dirigé par Mahamat Idriss Déby, peine à rompre avec ces pratiques.

« Il y a une forme d’héritage de l’impunité qui s’est institutionnalisé. Tant qu’on ne touche pas aux ‘intouchables’, le système tourne », explique une magistrate sous couvert d’anonymat.

Justice sélective : un outil de contrôle ?

Au-delà de l’impunité, certains observateurs évoquent une stratégie plus pernicieuse : la justice sélective comme instrument de répression ciblée. Lors des récentes manifestations contre la prolongation de la transition, plusieurs opposants ont été arrêtés, jugés expéditivement ou maintenus en détention préventive prolongée. Pendant ce temps, d’autres figures soupçonnées de corruption ou d’abus de pouvoir continuent d’agir librement.

« La justice devient alors un outil de régulation politique : elle punit les dissidents et protège les fidèles », analyse un politologue.

Vers une refondation du système ?

Face à cette situation, les appels à une réforme profonde de l’appareil judiciaire se multiplient. Magistrats, avocats, société civile et partenaires internationaux s’accordent sur la nécessité de garantir l’indépendance des juges, de lutter contre la corruption judiciaire, et de permettre aux justiciables d’avoir un accès équitable au droit.

La récente création de l’Ordre des avocats du Tchad en tant qu’organe plus autonome est un signal encourageant, mais insuffisant. Pour beaucoup, seule une volonté politique forte et sincère permettra d’instaurer une justice impartiale et crédible.

La perception d’une justice sélective ou complaisante au Tchad n’est pas qu’une vue de l’esprit : elle se nourrit de faits, de silences institutionnels et d’un système miné par les intérêts. Dans un contexte de la refondation du pays, restaurer la confiance dans la justice apparaît comme un impératif national. Car sans justice, aucune paix durable ne peut être construite.

Constant Danimbe
Constant Danimbe
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