Dans une lettre ouverte poignante intitulée « Contre la pratique de la vendetta, pour le vivre-ensemble au Tchad », le président du RNDT-Le Réveil, Pahimi Padacké Albert, interpelle gouvernants, acteurs politiques, chefs traditionnels, religieux, intellectuels et l’ensemble du peuple tchadien. À travers cet appel, il exhorte chacun à rejeter fermement cette pratique ancestrale de vengeance privée qui continue de gangrener la cohésion nationale.
« Ensemble disons non à la vendetta »
Dans ce texte, le chef de l’opposition démocratique n’hésite pas à rappeler l’ampleur du drame : massacres de masse, cycles infernaux de violence intercommunautaire et impuissance de l’État à endiguer cette spirale. S’appuyant sur la Constitution tchadienne du 29 décembre 2023 qui interdit explicitement la responsabilité pénale collective et l’instrumentalisation de croyances pour échapper à la loi, Pahimi dénonce la survivance de la vendetta comme un poison pour le vivre-ensemble.
« Le sang coule, partout, aux quatre coins du pays, comme si les Tchadiens avaient abandonné le XXIᵉ siècle pour replonger dans les âges sombres de la barbarie », déplore-t-il, avant de rappeler que cette coutume d’origine animiste, loin d’être un honneur, nourrit haine et divisions.
Une responsabilité collective
Dans un geste rare de lucidité politique, l’ancien Premier ministre reconnaît sa part de responsabilité. « Peut-être ne suis-je pas le mieux placé pour accuser, tant j’assume avec honneur et dignité ma longue participation à la gouvernance de notre pays. » Mais pour lui, cette vérité, parfois difficile, est nécessaire : chacun, gouvernants comme citoyens ordinaires, porte une part de responsabilité — par action, omission ou indifférence.
Il cite le pasteur Martin Niemöller pour illustrer le danger de l’indifférence coupable : « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit… Et quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
Un État impuissant et une justice dévoyée
Dans un réquisitoire sans détour, Pahimi fustige l’État, incapable de prévenir ni de punir ces crimes. Pire encore, il accuse l’État d’encourager indirectement cette vengeance privée en rachetant le prix du sang sur fonds publics, transformant la justice en marchandise et affaiblissant l’autorité régalienne.
« Un État qui ne rassure plus par la force du droit n’est plus un État au sens moderne. Il devient suspect, inégalitaire, au point de questionner sa légitimité », écrit-il, dénonçant la banalisation de « ministres pyromanes » réduits au rôle de « pleureurs funéraires ».
Sortir de l’archaïsme : la justice officielle comme seul recours
Pour Pahimi Padacké Albert, la vendetta, héritée des sociétés animistes et jadis universellement pratiquée avant l’instauration de l’État, doit être définitivement éradiquée. « Seule une bonne justice, rendue au nom du peuple par un État puissant par le droit, peut briser le cercle vicieux de la vengeance aveugle », martèle-t-il. À ses yeux, ce chantier nécessite une refonte de la gouvernance, notamment une meilleure représentativité et gestion des diversités pour éviter la fracture « dominants/dominés ».
Un projet de nation en chantier
« Le Tchad n’est pas encore une nation accomplie, mais un projet de nation en chantier », souligne-t-il, évoquant les massacres récurrents dans le Logone Occidental, le Ouaddaï, le Salamat ou le Mayo-Kebbi. Ces tueries, documentées par des images insoutenables, démontrent la brutalité de la vendetta et l’urgence d’un sursaut collectif.
Pahimi en appelle à des assises nationales pour débattre de cette question cruciale. Pour lui, il est temps de « tourner la page sombre de la haine et du sang » par la force de la parole, du dialogue et de l’action collective.
« Le sang ne répare pas le sang »
Dans sa conclusion, le chef du RNDT-Le Réveil martèle : « Le sang ne répare pas le sang. Il le souille. Le crime ne donne ni honneur ni gloire. » Et de rappeler que seule la cohabitation pacifique, la justice équitable et la vérité peuvent cimenter un vivre-ensemble durable au Tchad.
« Tout est vanité. Tout est passager : le pouvoir, les honneurs, l’accumulation des biens… Seul l’honneur digne demeure, et le Tchad seul est éternel ! »
À travers cet appel, Pahimi Padacké Albert pose un diagnostic implacable et ouvre un débat national sur la nécessité d’un sursaut moral, politique et institutionnel pour en finir, enfin, avec la barbarie de la vendetta.