La publication des arrêtés ministériels n°11 et n°12, en date du 26 juin 2025, marque un tournant préoccupant dans les relations déjà tendues entre le pouvoir central et la société civile tchadienne. Le premier interdit les activités du mouvement citoyen Le Temps ainsi que de la branche politique de Wakit Tama, deux entités connues pour leur engagement critique face à la gouvernance actuelle. Le second acte la dissolution de deux associations : l’Association des Jeunes pour l’Animation et le Développement Rural (AJADR) et la Coordination Nationale des Jeunes pour la Paix et le Développement au Tchad (CONAJEPDT). Ces décisions, signées par le ministre d’État en charge de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, soulèvent de sérieuses interrogations sur l’espace de liberté accordé aux voix citoyennes dans un contexte de la refondation du pays censé s’ouvrir à davantage de participation.
Si l’État justifie ces mesures par des « troubles à l’ordre public » ou des « dérives politiques non conformes aux statuts associatifs », il est permis d’y voir une tentative manifeste de restreindre la contestation légitime et de criminaliser l’engagement citoyen. Le Temps et Wakit Tama, tout comme l’AJADR ou la CONAJEPDT, incarnent une dynamique nouvelle portée par une jeunesse mobilisée pour la justice sociale, la bonne gouvernance et l’alternance démocratique. Leur mise à l’écart fragilise un tissu associatif déjà éprouvé par des années de restrictions, de surveillances administratives et de pressions politiques.
En réalité, ces arrêtés ne sont pas de simples actes réglementaires. Ils traduisent une logique de verrouillage de l’espace public, dans un pays où les contre-pouvoirs peinent à se structurer durablement. Alors que le Tchad prétend engager des réformes en faveur de la paix et de la réconciliation nationale, la répression ciblée de la société civile apparaît contradictoire, voire contre-productive. Elle envoie un signal d’intolérance vis-à-vis de la critique, de la mobilisation citoyenne, et par ricochet, de la démocratie elle-même.
La vitalité d’un État ne se mesure pas à sa capacité à faire taire les voix discordantes, mais à sa faculté à intégrer les revendications dans un dialogue constructif. La dissolution administrative ne supprime pas les frustrations ; elle les fait taire temporairement, tout en alimentant une défiance plus profonde. Dans ce contexte, la société civile tchadienne, loin de disparaître, se réinvente. Et si l’État persiste dans cette stratégie de marginalisation, il risque de provoquer une radicalisation silencieuse de cette frange active de la population, souvent plus ancrée dans les réalités sociales que les élites politiques elles-mêmes.
Au final, la question posée est simple mais essentielle : veut-on au Tchad une société soumise ou une société engagée ? L’avenir démocratique du pays dépendra largement de la réponse que le gouvernement apportera à cette interrogation.