Tchad| Conservation du patrimoine culturel : le combat silencieux des scientifiques tchadiens

Au cœur du désert, dans les montagnes de l’Ennedi ou encore sous les sables du Kanem, dorment des trésors archéologiques et culturels inestimables. Pourtant, la préservation de ce riche patrimoine demeure un défi de taille pour les scientifiques tchadiens, confrontés à un manque criant de moyens, à l’instabilité sécuritaire et à l’indifférence politique.

Un patrimoine exceptionnel, mais menacé

Le Tchad abrite des sites parmi les plus anciens d’Afrique. Les gravures rupestres de l’Ennedi, les vestiges de l’antique royaume du Kanem-Bornou ou encore les poteries funéraires de la Tandjilé témoignent d’une histoire millénaire. En 2016, l’UNESCO a inscrit les paysages culturels de l’Ennedi au patrimoine mondial, une reconnaissance qui aurait pu marquer un tournant. Mais sur le terrain, les choses avancent lentement.

« Nous manquons de tout : laboratoires, matériels de conservation, formations spécifiques… », déplore Dr Mahamat Souleymane, archéologue et directeur de recherche à l’Université de N’Djamena. « La majorité des fouilles sont arrêtées faute de financements. Et quand on découvre un site, il est souvent pillé ou laissé à l’abandon. »

Un combat contre l’oubli et le temps

L’un des enjeux majeurs réside dans la numérisation et la documentation des vestiges culturels. Des équipes locales, souvent en sous-effectif, s’échinent à inventorier manuscrits, objets anciens et témoignages oraux dans un contexte d’urgence.

« Le climat extrême accélère la dégradation des matériaux. Les manuscrits se désagrègent, les gravures s’effacent sous l’érosion », explique, une restauratrice de patrimoine qui garde l’anonymat. « Il faut agir vite, mais sans personnel qualifié et sans outils adaptés, nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens du bord. »

Sécurité et accès : des freins persistants

Certaines régions riches en patrimoine sont aujourd’hui peu accessibles en raison de l’insécurité persistante. Le lac Tchad, autrefois centre d’échanges culturels florissants, est aujourd’hui une zone à risques. « Nous avons dû annuler plusieurs missions dans le Tibesti et le Borkou, zones essentielles pour l’histoire préislamique du pays », confie un membre du Centre national de recherche pour le développement (CNRD).

La menace vient aussi des trafics illicites. Des objets anciens sont régulièrement extraits et vendus sur les marchés internationaux. « Le pillage est organisé. Il faut des lois fermes et un engagement politique clair pour stopper l’hémorragie », alerte Dr Souleymane.

Une prise de conscience lente mais réelle

Malgré les obstacles, quelques initiatives locales et internationales tentent de changer la donne. Des partenariats avec des institutions étrangères permettent de former de jeunes chercheurs tchadiens. Le Musée national de N’Djamena, bien que sous-exploité, a entamé une modernisation de ses expositions. Des ONG comme ALCEP (Association pour la Lecture, la Culture et l’Éducation au Patrimoine) sensibilisent les jeunes générations à l’importance de la mémoire culturelle.

Le gouvernement tchadien a récemment évoqué un « plan de sauvegarde des sites historiques », mais son financement reste flou. Pour les scientifiques, l’urgence est d’agir avant que le patrimoine ne s’efface à jamais.

« Ce que nous perdons aujourd’hui, c’est une part de notre identité collective. Le patrimoine n’est pas une priorité dans les discours politiques, mais il est essentiel à notre souveraineté culturelle », conclut Dr Souleymane.

La sauvegarde du patrimoine culturel tchadien ne peut reposer sur la seule passion de quelques chercheurs. Elle appelle une mobilisation nationale, un sursaut collectif face à l’oubli et à l’effacement. Car un pays sans mémoire est un pays sans avenir.

Constant Danimbe
Constant Danimbe
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