Société : Vente ambulante de manioc : quand les vacances scolaires deviennent un terrain de risques pour les jeunes filles de N’Djamena

Pendant les vacances, les rues de N’Djamena prennent des allures de marchés improvisés. Partout, l’on croise de jeunes filles, bassines sur la tête, proposant du manioc cru ou bouilli aux passants. Cette activité, qui pourrait paraître anodine, cache une réalité complexe : ces adolescentes, souvent élèves du primaire ou du secondaire, s’adonnent à la vente ambulante pour préparer la rentrée scolaire. Mais derrière cet esprit d’initiative se profile une vulnérabilité inquiétante.

La débrouille comme nécessité

À Chagoua, quartier populaire de la capitale, Fanta, 15 ans, marche pieds nus sur le sable brûlant, sa bassine remplie de manioc encore fumant. « Je vends pour acheter mes cahiers et payer les frais de scolarité. Si j’attends tout de mes parents, je risque de ne pas reprendre les cours », explique-t-elle, les yeux rivés sur ses clients potentiels.

Comme elle, des centaines de jeunes filles investissent les marchés, les carrefours et même les bars de quartier. Le manioc, peu coûteux et très demandé, leur permet de rentrer chaque soir avec une petite somme d’argent. Mais ce commerce improvisé, exercé sans encadrement, ouvre la voie à toutes sortes de dérives.

Entre harcèlement et dangers de la rue

La vente ambulante oblige souvent ces jeunes à arpenter de longues distances, parfois jusque tard dans la soirée. Dans certains quartiers, elles croisent des adultes mal intentionnés. « Il m’est arrivé qu’un homme me propose de l’argent si je l’accompagnais quelque part. J’ai eu peur et je suis partie en courant », confie Mariam, 13 ans, élève de 5ᵉ.

Selon plusieurs associations de protection de l’enfance, ce genre de situations est fréquent. Le commerce ambulant expose les jeunes vendeuses à des abus sexuels, au harcèlement et parfois au vagabondage, lorsqu’elles tardent à rentrer à la maison. Pour certaines, les revenus rapides deviennent une tentation qui finit par les détourner de l’école.

L’inquiétude des parents

Les familles, souvent issues de milieux modestes, sont partagées entre fierté et inquiétude. « Je suis contente que ma fille veuille m’aider, mais je crains qu’elle soit victime d’agressions. Je ne peux pas toujours l’accompagner », déplore Amina, mère de trois enfants dans le quartier de Goudji.

Faute d’emplois stables ou de soutien suffisant, les parents se voient contraints de laisser leurs enfants affronter seuls les dangers de la rue. Certains finissent même par encourager cette pratique, considérée comme une solution temporaire pour alléger le fardeau économique de la famille.

Un phénomène social préoccupant

Pour Idriss Moussa, membre d’une ONG locale de protection des mineurs, le phénomène prend une ampleur inquiétante. « La société doit comprendre que ces enfants, en quête de moyens pour étudier, mettent leur avenir en danger. Il faut des alternatives plus sûres, comme des activités de vacances encadrées ou de petits projets communautaires qui leur permettent de gagner un peu d’argent dans un cadre protégé », alerte-t-il.

Entre courage et vulnérabilité

Au-delà de la dimension économique, la vente ambulante de manioc par les élèves de N’Djamena révèle un paradoxe : d’un côté, elle témoigne de leur détermination à poursuivre les études malgré les difficultés financières ; de l’autre, elle les place dans une situation de vulnérabilité extrême.

À quelques jours de la rentrée, la scène des jeunes filles arpentant les rues avec leurs bassines de manioc reste une image forte de la capitale. Une image qui interpelle : comment encourager cette énergie et cette volonté d’émancipation, tout en garantissant leur sécurité et leur avenir scolaire ?


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