Dans les rues poussiéreuses de Gao, dans les plaines du Lac Tchad ou dans les confins du nord du Burkina Faso, la circulation des armes à feu est devenue un fléau quotidien. Du fusil artisanal aux kalachnikovs venues de réseaux transfrontaliers, la prolifération des armes légères dans la région du Sahel menace la stabilité, nourrit les conflits et complique les efforts de paix.
Une région sous tension permanente
Le Sahel zone qui s’étend du Tchad au Mali, en passant par le Niger, le Burkina Faso et une partie du nord du Nigeria fait face depuis plus d’une décennie à une insécurité chronique. Groupes armés terroristes, bandits armés, milices communautaires, trafiquants… Tous se nourrissent d’un accès quasi libre aux armes à feu.
Selon le dernier rapport de Small Arms Survey (2024), on estime à plus de 10 millions le nombre d’armes légères en circulation en Afrique de l’Ouest, dont une grande partie dans des zones sahéliennes non contrôlées.
Des frontières poreuses et des circuits invisibles
Les armes circulent facilement à travers les frontières poreuses, souvent sans surveillance étatique efficace. Issues de stocks mal sécurisés, de saisies non contrôlées ou de trafics liés à des conflits passés (notamment la guerre en Libye), elles sont revendues sur des marchés informels ou échangées contre du bétail, du carburant ou des ressources minières.
Certaines arrivent même dans les mains de civils qui s’arment pour se défendre face à l’insécurité croissante, créant un cercle vicieux. « Chaque groupe communautaire se sent menacé et s’équipe, ce qui alimente les tensions locales », résume un rapport conjoint de l’Union africaine et de la CEDEAO.
Des États souvent impuissants
Faute de moyens logistiques, de formation adaptée et d’un dispositif de traçabilité performant, les États sahéliens ont du mal à contrôler les flux d’armes. La destruction des stocks illicites est limitée, tandis que les saisies restent marginales par rapport à l’ampleur du phénomène.
Au Tchad, plusieurs opérations ont permis de récupérer des armes auprès de civils, mais les efforts restent insuffisants face à l’étendue du territoire et à la sophistication des réseaux criminels.
Conséquences sécuritaires et humanitaires
La prolifération des armes alimente directement les conflits communautaires, les enlèvements contre rançon, les attaques terroristes et les violences contre les civils. Elle fragilise les États et compromet les opérations humanitaires, rendant certaines zones quasi inaccessibles.
Dans les zones du Lac Tchad, les forces de défense doivent composer avec des groupes armés non étatiques mieux équipés et souvent plus mobiles. Le tissu social se désintègre peu à peu, les populations vivant sous la menace permanente des armes.
Appels à une réponse régionale coordonnée
Face à ce défi, les experts s’accordent à dire qu’aucun pays ne pourra agir efficacement seul. Il faut une coopération régionale renforcée, impliquant les services de renseignement, les forces armées, les acteurs communautaires et les partenaires internationaux.
Des initiatives comme le Programme régional de lutte contre la prolifération des armes légères en Afrique de l’Ouest (PRALEAO), ou les actions du Comité national de lutte contre la prolifération des armes légères au Tchad, existent mais manquent souvent de financement et de volonté politique.
La lutte contre les armes illicites est un préalable indispensable à la paix durable dans le Sahel. Tant que les kalachnikovs circuleront plus facilement que les services publics, la stabilité restera un mirage.