Au Tchad, comme dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, l’économie informelle demeure un pilier de survie pour des millions de citoyens. À sa base, on retrouve une majorité de femmes, souvent invisibles dans les statistiques officielles mais essentielles au fonctionnement quotidien de l’économie nationale. Dans un contexte marqué par des crises économiques récurrentes, un faible accès aux financements, des politiques publiques limitées et une précarité sociale généralisée, la résilience des femmes dans ce secteur informel s’affirme comme un moteur de stabilité et d’innovation silencieuse.
Une économie parallèle, mais centrale
L’économie informelle au Tchad représente selon les estimations plus de 80 % de l’activité économique hors secteur public. Marchandes de vivres, revendeuses de produits artisanaux, restauratrices de rue, coiffeuses de quartier, couturières ou domestiques : les femmes y occupent une place prépondérante. Leur activité, bien que souvent marginalisée, absorbe une part importante de la demande en biens et services dans les zones urbaines et périurbaines, tout en générant des revenus essentiels pour la survie des ménages.
Cette dynamique féminine s’explique en grande partie par le manque d’opportunités dans le secteur formel, caractérisé par des barrières d’entrée élevées : faible niveau d’instruction, absence de garantie foncière, accès limité au crédit bancaire, ou encore cadre juridique inadapté. Le secteur informel devient alors un refuge économique, mais aussi un espace de déploiement de stratégies d’adaptation créatives.
Résilience face aux vulnérabilités structurelles
La résilience des femmes tchadiennes dans l’économie informelle ne se résume pas à une simple survie économique. Elle est le reflet d’une capacité d’ajustement face à des environnements instables : inflation galopante, rareté des matières premières, absence de couverture sociale ou encore risques liés à l’insécurité dans certaines régions du pays. En dépit de ces défis, ces femmes réussissent à maintenir des chaînes d’approvisionnement locales, à gérer des micro-entreprises avec des marges très faibles, tout en assumant des responsabilités familiales et communautaires.
Elles développent des mécanismes de solidarité informels, comme les tontines, les coopératives artisanales ou les groupements d’achat, qui permettent une mutualisation des risques et un accès solidaire aux ressources financières. Ces structures agissent comme des amortisseurs sociaux là où l’État est absent, et témoignent d’une intelligence économique collective sous-estimée.
Un rôle stratégique dans la transformation économique
Si leur contribution reste souvent cantonnée à la sphère de la subsistance, les femmes du secteur informel jouent un rôle stratégique dans l’économie nationale. Leur implication dans les circuits courts, le commerce de proximité et la transformation artisanale des produits locaux fait d’elles des actrices-clés de la sécurité alimentaire, de l’économie circulaire et du maintien des liens sociaux dans les quartiers populaires.
Leur résilience est aussi un indicateur d’un potentiel inexploité. Dans un pays où la croissance est insuffisamment inclusive, reconnaître et renforcer le rôle des femmes dans l’économie informelle représente un levier de transformation économique. Cela nécessite des politiques ciblées : régulation souple de l’informel, accès facilité au microcrédit, formation en gestion, protection sociale adaptée, sans oublier une reconnaissance institutionnelle de leur rôle économique.
Vers une revalorisation de l’informel féminin
La résilience des femmes dans l’économie informelle tchadienne ne devrait pas être interprétée comme une capacité à supporter la précarité indéfiniment, mais plutôt comme une preuve de leur potentiel à contribuer de manière significative à l’essor économique du pays. Si l’État et les partenaires techniques et financiers souhaitent véritablement impulser une croissance inclusive, une meilleure intégration des femmes entrepreneures informelles dans les stratégies nationales de développement s’impose.
Il s’agit non seulement de sécuriser leurs revenus, mais aussi de construire un pont entre économie informelle et économie structurée, dans une logique de justice économique et de durabilité. La résilience des femmes tchadiennes n’est pas une fatalité, mais une force à reconnaître, à accompagner et à valoriser.