N’Djamena : des morgues saturées face à une crise silencieuse

Dans la capitale tchadienne, le constat est sans appel : les morgues n’arrivent plus à contenir les dépouilles qu’elles reçoivent quotidiennement. Un problème longtemps passé sous silence, mais qui suscite aujourd’hui une inquiétude grandissante au sein des familles endeuillées, du personnel hospitalier et même des autorités sanitaires.

À l’hôpital général de référence nationale, l’un des plus grands établissements de santé de N’Djamena, la morgue ne désemplit pas. Les corps s’entassent parfois à même le sol, faute de compartiments réfrigérés en nombre suffisant. « Nous avons une capacité d’accueil de vingt-quatre corps, mais en période de pics, notamment lors des vagues de chaleur ou d’épidémies, on peut en recevoir jusqu’à quarante », confie sous anonymat un employé de la morgue, visiblement dépassé par l’ampleur de la situation.

Cette saturation est due à plusieurs facteurs. D’abord, la croissance démographique rapide de la ville, combinée à l’insuffisance des infrastructures sanitaires adaptées. « N’Djamena s’étend et sa population augmente, mais les morgues restent les mêmes depuis des décennies. Le nombre de décès ne diminue pas, bien au contraire », explique Mahamat Hissein, agent de santé publique. Les décès liés aux maladies chroniques, aux accidents de la route fréquents, aux conflits communautaires ou encore aux flambées épidémiques comme le choléra contribuent à aggraver la situation.

Pour les familles, la douleur de la perte se double d’un véritable parcours du combattant pour trouver une place décente où conserver le corps du défunt en attendant les obsèques. Certains sont obligés de recourir à des chambres froides privées, coûteuses, ou même d’improviser à domicile. « Mon frère est décédé un vendredi soir, raconte Zakaria, un habitant du quartier Atrone. Quand nous sommes arrivés à la morgue, on nous a dit qu’il n’y avait plus de place. On a dû négocier avec une clinique privée pour qu’elle accepte de garder le corps, à 25 000 francs CFA par jour. »

Ce manque de place favorise également des pratiques contraires à l’éthique et à la dignité humaine. Dans certains cas, des corps non réclamés sont enterrés à la hâte pour libérer de la place, sans que les procédures légales ne soient toujours respectées. « La situation est préoccupante. On risque des problèmes sanitaires si on ne gère pas correctement la conservation des cadavres », alerte un médecin légiste.

Face à cette crise silencieuse, les autorités sanitaires reconnaissent la nécessité d’agir, mais les moyens manquent. Le ministère de la Santé publique a promis à plusieurs reprises d’augmenter la capacité d’accueil des morgues et de réhabiliter certaines infrastructures vieillissantes, mais sur le terrain, les progrès tardent à se concrétiser. « Nous avons besoin d’au moins deux nouvelles morgues modernes pour couvrir les besoins de N’Djamena », estime Dr Djimet Younous, directeur d’un centre hospitalier.

Les acteurs de la société civile, eux, plaident pour une prise en charge plus globale. Au-delà des constructions, ils appellent à la mise en place d’un véritable plan de gestion des décès, incluant un système de traçabilité des corps, des formations pour le personnel mortuaire et un accompagnement psychologique pour les familles endeuillées.

En attendant, ce sont les agents des morgues, souvent sous-équipés et mal rémunérés, qui continuent de faire face tant bien que mal à cette surcharge permanente. « Nous faisons de notre mieux, mais nous travaillons dans des conditions qui ne respectent ni les normes sanitaires ni la dignité des morts », soupire un technicien mortuaire.

Pour beaucoup, cette crise est révélatrice d’un problème plus vaste : celui de la modernisation du système de santé tchadien, encore trop fragile pour répondre aux besoins d’une population en pleine expansion. Tant que des mesures concrètes ne seront pas prises, le manque de place dans les morgues de N’Djamena restera le reflet amer d’un système à bout de souffle, où même la mort peine à trouver sa place.

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