Musique : Pourquoi la musique tchadienne peine à se vendre à l’international, malgré tant de sacrifices ?

Rythmes envoûtants, voix puissantes, textes engagés : la musique tchadienne regorge de talents et de richesses culturelles. Pourtant, malgré des efforts notables de nombreux artistes et promoteurs culturels, elle peine toujours à franchir les frontières et à s’imposer sur la scène internationale. Pourquoi ce paradoxe persiste-t-il ?

Un vivier de talents, peu valorisé

Dans les quartiers populaires de N’Djamena ou dans les villes de province, la scène musicale est foisonnante. Des artistes comme AfrotroniX, Mawndoé, Melodji ou Sultan profitent d’une reconnaissance certaine, mais ils restent l’exception plutôt que la règle. Beaucoup de musiciens tchadiens évoluent dans l’ombre, souvent sans moyens, mais avec une passion farouche.

« Il y a une énergie incroyable ici, mais on manque de structures d’accompagnement », regrette Salma Youssouf, productrice indépendante. « Les artistes doivent tout faire eux-mêmes : production, promotion, communication. »

Un manque criant d’infrastructures et de soutien

Au Tchad, les studios d’enregistrement sont rares, souvent mal équipés, et les financements presque inexistants. Le ministère de la Culture, pourtant garant de la promotion artistique, peine à mettre en place des politiques efficaces. Résultat : les artistes s’autoproduisent, avec les moyens du bord.

À cela s’ajoute un déficit de formation. « Beaucoup de musiciens talentueux n’ont pas accès à des formations professionnelles, ni sur la musique elle-même, ni sur la gestion de carrière », explique un membre de l’Association des artistes tchadiens.

Une promotion insuffisante et une stratégie numérique faible

À l’ère du streaming et des réseaux sociaux, la visibilité numérique est un levier clé. Mais très peu d’artistes tchadiens maîtrisent les outils de promotion en ligne ou disposent des ressources pour se hisser sur les plateformes comme Spotify, Apple Music ou YouTube avec des campagnes ciblées.

« Il faut une stratégie digitale, du branding, des visuels de qualité. Ce sont des codes que peu d’artistes ici connaissent ou peuvent s’offrir », observe DJ Douguy, basé à Paris.

Le poids des clichés et l’absence de relais internationaux

Autre frein : l’image du Tchad à l’international, souvent associée à la guerre ou à l’instabilité. Cela impacte aussi la perception de sa culture. « Quand tu dis que tu viens du Tchad, on s’étonne qu’il y ait même de la musique moderne là-bas », confie Melodji, ancienne du groupe Matania.

De plus, le pays manque de relais professionnels (agents, managers, distributeurs) à l’étranger pour pousser ses artistes vers les marchés européens, américains ou même africains.

Des sacrifices personnels… souvent en vain

Derrière chaque morceau sorti, il y a souvent des années d’efforts personnels : économies englouties, nuits sans sommeil, absence de retour sur investissement. « J’ai investi tout ce que j’avais dans mon album. Il est sorti, mais personne n’en a parlé », déplore un rappeur de Moundou.

Et pourtant, un potentiel énorme

Malgré tout, l’espoir demeure. L’émergence de festivals locaux comme le Festival N’Djam Vi ou des plateformes culturelles comme DjamViDigital offrent de nouveaux espaces d’expression. Le succès international d’AfrotroniX, qui mélange musique électronique et rythmes sahéliens, montre que la musique tchadienne peut séduire au-delà des frontières.

La musique tchadienne ne manque ni de talent ni de créativité. Ce qu’il lui faut aujourd’hui, c’est un écosystème structuré, un engagement politique fort, une stratégie numérique ambitieuse et des relais internationaux. Le sacrifice des artistes mérite mieux que le silence.


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