Le 19 juin 2025 restera gravé dans la mémoire collective du canton de Keuni, dans le Mayo-Kebbi Ouest, comme une journée d’horreur et d’abandon. Dix-sept morts, seize blessés, des femmes et des enfants massacrés à l’arme blanche et à feu, du bétail volé : voilà le triste bilan d’une attaque survenue en plein jour dans le village d’Oregomel. Le plus choquant n’est pas seulement la sauvagerie de l’acte, mais l’évidente faillite sécuritaire qui l’a permis.
Depuis des mois, les signes avant-coureurs d’une montée des violences dans cette zone sont ignorés. Des villages isolés, laissés sans patrouilles régulières, une absence totale d’alerte préventive, des populations vulnérables sans protection : les ingrédients du drame étaient réunis. Où étaient les autorités administratives ? Où étaient les forces de défense censées prévenir et dissuader ce genre de carnage ? La réponse est glaçante : nulle part. Ce n’est qu’après la tragédie que la présence étatique s’est fait timidement sentir, dans une mise en scène de compassion et de promesses tardives.
La visite du Délégué Général du Gouvernement au lendemain de l’attaque, accompagnée d’effets d’annonce sur un renforcement sécuritaire, sonne creux. Elle ne saurait effacer la profonde négligence dont les autorités locales et centrales ont fait preuve. Cette réponse réactionnelle, au lieu d’être proactive, illustre un modèle de gouvernance usé, fondé sur la gestion des cadavres plutôt que la prévention des conflits.
Le cas d’Oregomel ne peut être dissocié du climat général d’impunité et d’indifférence qui règne dans de nombreuses provinces rurales du Tchad. Trop souvent, la justice est rendue symboliquement, les auteurs d’attaques disparaissent dans les maquis, les enquêtes s’enlisent, et les communautés continuent de vivre dans la peur. Les arrestations annoncées ne doivent pas servir de cautère médiatique sur une plaie béante : elles doivent être suivies d’une chaîne judiciaire crédible et visible.
Face à l’ampleur du drame, une question s’impose : combien d’autres Oregomel faudra-t-il pour que les autorités prennent la mesure de leur responsabilité ? Le laxisme n’est plus une faute, c’est une complicité passive face à la violence. Et tant que les villages du Tchad seront traités comme des zones périphériques, oubliées des radars de l’État, la tragédie d’Oregomel ne sera qu’un épisode de plus dans une série macabre qui ne dit pas son nom.