Jeunes et réseaux sociaux au Tchad : entre espace d’expression et terrain de dérapages

Au Tchad, comme dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne, les réseaux sociaux sont devenus le principal moyen d’expression pour une jeunesse avide de liberté, de visibilité et de changement. Facebook, WhatsApp, TikTok et plus récemment X (ex-Twitter) rythment le quotidien des jeunes, entre publication de contenus, débats politiques et humour viral. Un espace de parole inédit, mais aussi un terrain où les dérives se multiplient, dans un pays encore fragile sur le plan institutionnel et social.

Une jeunesse connectée malgré les obstacles

Selon le rapport 2024 de l’ARCEP Tchad (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), le pays compte environ 3,2 millions d’utilisateurs d’internet, soit près de 17 % de la population. Parmi eux, plus de 65 % sont âgés de 15 à 35 ans, une tranche d’âge qui représente d’ailleurs la majorité démographique nationale.

Facebook reste la plateforme la plus utilisée au Tchad, suivie de WhatsApp et TikTok. La majorité des connexions se fait via le mobile, dans un contexte où les coûts de la data restent élevés et la qualité du réseau inégale. Malgré cela, les jeunes trouvent dans les réseaux sociaux un espace pour faire entendre leur voix, dénoncer l’injustice ou encore contourner le silence des médias traditionnels.

Prolifération des abus et discours toxiques

Mais cette liberté numérique s’accompagne d’un accroissement préoccupant des abus. L’Observatoire tchadien du numérique (OTN), dans un rapport publié en janvier 2025, note une hausse de 40 % des cas de diffamation, d’intox et de discours haineux sur les plateformes sociales en 2024, comparé à l’année précédente.

Des pages anonymes se multiplient, souvent utilisées pour attaquer des personnalités publiques, propager des rumeurs ou semer la division. Certains influenceurs n’hésitent pas à relayer des contenus sensationnalistes sans vérification, contribuant à l’amplification des fausses informations. Plusieurs cas de cyberharcèlement ont également été recensés, notamment contre des femmes et des militants.

Encadrement juridique encore flou

Sur le plan légal, le Tchad ne dispose pas encore d’un cadre numérique entièrement opérationnel. Si le Code pénal criminalise certains actes en ligne (injures, atteinte à l’honneur, incitation à la haine…), l’application reste inégale. Les autorités tchadiennes ont plusieurs fois procédé à des arrestations pour « délits d’opinion numérique », mais cela soulève aussi des inquiétudes sur le respect des libertés fondamentales.

La Haute autorité des médias et de l’audiovisuel (HAMA) appelle régulièrement à un usage responsable des réseaux, tandis que le gouvernement évoque l’élaboration d’une loi spécifique sur la cybersécurité et la lutte contre la désinformation.

L’éducation au numérique, un chantier prioritaire

Face à cette situation, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une véritable politique d’éducation numérique. L’enjeu est de former les jeunes à un usage critique, éthique et citoyen des réseaux sociaux. Car si ces plateformes sont des leviers de transformation sociale, elles peuvent aussi, sans régulation ni accompagnement, devenir des vecteurs de manipulation, de violence ou de repli identitaire.

Au Tchad, où plus de 60 % de la population a moins de 25 ans, l’avenir numérique du pays dépendra largement de la capacité à encadrer et responsabiliser cette jeunesse connectée.

Constant Danimbe
Constant Danimbe
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