Exode rural des enfants au Tchad : le prix d’une enfance sacrifiée

À N’Djamena, les visages d’enfants fatigués se confondent dans la foule des marchés et des rues poussiéreuses. Beaucoup ne viennent pas d’ici. Ils ont quitté leurs villages pour tenter de survivre en ville, au prix de leur enfance.

À N’Djamena, les visages d’enfants fatigués se confondent dans la foule des marchés et des rues poussiéreuses. Beaucoup ne viennent pas d’ici. Ils ont quitté leurs villages pour tenter de survivre en ville, au prix de leur enfance.

Nadège, 13 ans, le cœur resté au village

Sous un soleil de plomb, Nadège avance lentement dans les rues de la capitale tchadienne. Sur sa tête, une bassine remplie de petites boules de soumsoum un mélange de sésame et de sucre qu’elle vend depuis deux ans.

Elle vient de Bédjondo, un petit village du sud du Tchad. Là-bas, la terre ne donne plus grand-chose. « Je voulais aider ma mère, on manquait de tout », raconte-t-elle d’une voix basse. Depuis qu’elle a quitté l’école, Nadège n’a plus ouvert un cahier.

Nadège, 13 ans, vendant des soumsoum dans les rues de N’Djamena

Elle gagne quelques centaines de francs par jour, assez pour envoyer un peu d’argent au village. Mais quand on lui demande si elle aimerait retourner à l’école, elle baisse les yeux : « Oui, mais qui va me soutenir ? »

Moussa, 10 ans, enfant des rues

À l’autre bout de la ville, Moussa, un garçon frêle au regard vif, fouille dans les poubelles à la recherche de bouts de métal. Il est venu de Bokoro, dans la province du Hadjer Lamis. Sa journée commence avant le lever du soleil et se termine souvent après la tombée de la nuit.

« Je vends le fer aux récupérateurs. Avec ça, je peux acheter un peu de riz », dit-il en essuyant ses mains noircies par la poussière. L’école, il ne s’en souvient plus très bien. « Parfois je rêve d’y retourner », ajoute-t-il avec un sourire timide.

Moussa, 10 ans, enfant de rue, venu de Bokoro, rencontré dans les rues de N’djamena

Comme lui, des dizaines d’enfants vivent dehors, sans encadrement, livrés à la débrouille. Certains dorment dans les marchés, d’autres trouvent refuge chez des proches ou dans des maisons en construction.

Un phénomène qui s’étend

Derrière ces visages, un même constat : la pauvreté pousse de plus en plus d’enfants à quitter les campagnes. Selon les chiffres de l’UNICEF, plus de 40 % des filles et 20 % des garçons âgés de 12 à 14 ans effectuent des travaux domestiques lourds chaque semaine.

Le taux d’abandon scolaire au primaire est passé de 11,4 % à plus de 23 % en quelques années.

Dans les villages, la rareté des écoles et le manque d’enseignants accélèrent le départ vers les villes. Ces jeunes deviennent des vendeurs de rue, des aides domestiques ou des ouvriers journaliers. Peu d’entre eux parviennent à sortir de ce cercle.

Entre engagement citoyen et défaillance publique

Certains enfants sont repérés par des associations locales ou des centres d’accueil qui leur offrent un abri temporaire. Mais les structures sont débordées, faute de moyens suffisants et de suivi adapté. Pour M. Hinfiene François Pateziari, Directeur de l’action éducative et de la réinsertion au Centre National d’Accueil de Rééducation et de Réinsertion des Enfants Vulnérables (CNARREV) situé à Koundoul, une structure nationale mise en place par l’État, ce dispositif représente « une grande opportunité pour ces enfants de sortir de leur situation et de retrouver la fierté de vivre ».

Monsieur HINFIENE François PATEZIARI, Directeur de l’Action Educative et de la Réinsertion au Centre National d’Accueil de Rééducation et de Réinsertion des Enfants Vulnérable (CNARREV) de Koundoul

Cependant, reconnaît-il, « certains enfants finissent par fuir après quelques mois, faute d’adhésion aux démarches de rééducation et de réinsertion ». Un constat qui illustre la fragilité du système et les insuffisances criantes dans la mise en œuvre des politiques publiques destinées à la protection de l’enfance.

A côté, les associations locales comme l’Association pour la Réinsertion des Enfants et la Défense des Droits de l’Homme (ARED) s’imposent en véritables bouées de sauvetage pour des enfants livrés à eux-mêmes, souvent oubliés des politiques sociales. « Nous faisons ce que les pouvoirs publics devraient faire », confie Jean-Philippe Beledé, coordinateur terrain de l’association à N’Djamena, visiblement amer face à l’inertie institutionnelle. Depuis des années, son équipe sillonne les provinces pour sensibiliser, repérer et sauver les enfants en danger. Mais leurs efforts se heurtent à un mur d’indifférence, parfois même à des pressions venues d’acteurs influents.

« Nous avons d’excellents textes de loi, mais leur application reste le vrai problème », déplore-t-il encore. Une déclaration qui résume à elle seule le fossé entre les engagements politiques et la réalité du terrain.

Monsieur Jean Philippe Beledé, Coordonnateur Terrain de l’Association pour la Réinsertion des Enfants et la Défense des Droits de l’Homme (ARED) à N’Djamena

Dans les rues, la solidarité s’organise entre eux. Nadège partage souvent son repas avec une autre vendeuse de son âge. Moussa, lui, garde ses trouvailles dans un coin du marché pour éviter qu’on les lui prenne.

Leur quotidien est fait de fatigue, d’insécurité, mais aussi d’une étonnante résilience. « On s’habitue », dit simplement Moussa.

Un avenir à reconstruire

L’exode rural des enfants met en lumière la fragilité des campagnes tchadiennes, où l’école reste un luxe et le travail des enfants une nécessité. Tant que les familles continueront de survivre à la saison sèche en envoyant leurs enfants chercher du travail en ville, les Nadège et les Moussa se multiplieront.

Leur histoire, c’est celle d’un pays jeune, où l’enfance se perd trop souvent entre la poussière des routes et les promesses d’une école trop lointaine.

NB: cet article est produit dans le cadre du concours du champion sur le traitement de l’information sur l’enfance, edition 2025 et les prénoms ont été modifiés pour protéger l’identité des enfants.

Constant Danimbe
Constant Danimbe
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