Éducation : Jeunes diplômés tchadiens : le rêve de l’exil, entre espoirs brisés et quête de dignité

Face au manque d’opportunités professionnelles au Tchad, de plus en plus de jeunes diplômés envisagent l’émigration comme seul horizon viable. Derrière ce phénomène, un mélange de désespoir, d’ambition et de désillusion collective.


Dans un cybercafé de N’Djamena, Mahamat, 27 ans, envoie un énième dossier de candidature à un programme de bourse en Europe. Titulaire d’un master en droit obtenu à l’Université de N’Djamena, il rêve de poursuivre un doctorat en France. Mais ce qu’il cherche surtout, dit-il, c’est « un avenir meilleur, ailleurs ».

Comme lui, des milliers de jeunes diplômés tchadiens aspirent à quitter le pays. Canada, France, Allemagne, Turquie, voire les pays du Golfe… Les destinations varient, mais le constat reste le même : le Tchad ne leur offre pas de perspectives d’avenir à la hauteur de leurs ambitions.

« Ce pays ne récompense pas l’effort. J’ai passé cinq ans à l’université, mais je n’ai toujours pas de boulot. Mon frère, qui n’a pas eu le bac, fait plus d’argent que moi avec un petit kiosque de recharge. Alors oui, je veux partir », confie Fatimé, 25 ans, diplômée en communication.

Le mythe de l’ailleurs

Pour beaucoup, partir à l’étranger, c’est aussi fuir l’humiliation du chômage et le mépris social réservé aux jeunes sans revenu. Plusieurs associations de jeunesse déplorent un découragement croissant chez les jeunes diplômés, qui se sentent abandonnés par l’État.

« Quand on ne peut pas s’insérer dans le circuit économique ou participer à la vie publique, on devient invisible. Alors ils se disent que peut-être, ailleurs, ce sera mieux », analyse un sociologue basé à Moundou.

Internet, les réseaux sociaux et les success stories de ceux qui ont réussi à « percer » à l’étranger renforcent l’idée que le salut se trouve hors des frontières. Certains rêvent de bourses universitaires, d’autres s’accrochent aux concours internationaux ou aux programmes de volontariat. Mais tous ne réussiront pas.

L’exil à tout prix

De plus en plus, cette envie de partir dépasse le cadre légal. En l’absence de moyens financiers ou de visas, certains jeunes diplômés n’hésitent pas à emprunter les voies clandestines du désert et de la mer, avec tous les risques que cela comporte.

« J’ai vu des gens très instruits mourir sur les routes de Libye. Ils pensaient qu’avec leur niveau, ils allaient être respectés. Mais dans le désert, ton master ne vaut rien », raconte un ancien migrant revenu de Tripoli.

Entre 2019 et 2023, des dizaines de jeunes tchadiens ont péri dans des tentatives de traversée vers l’Europe via le Sahel ou la Méditerranée, selon des ONG locales.

Une responsabilité partagée

Face à cette fuite des cerveaux, les pouvoirs publics semblent dépassés. Les programmes d’insertion professionnelle peinent à répondre à la demande, et les opportunités pour les jeunes diplômés sont rares dans un marché de l’emploi saturé, informel et souvent verrouillé par les réseaux clientélistes.

« L’État ne crée pas les conditions de rétention des talents. Même les rares jeunes qui trouvent un emploi sont souvent sous-payés ou non valorisés », estime un ancien conseiller du ministère de la Jeunesse.

Quelques initiatives tentent toutefois de retenir les jeunes par la création d’incubateurs, de formations à l’entrepreneuriat ou de projets cofinancés. Mais sans véritable stratégie nationale, ces efforts restent dispersés et peu visibles.


Dans l’ombre des départs, c’est une génération entière qui doute, oscille entre rage contenue et résignation lucide. Et pendant qu’elle rêve d’ailleurs, le pays continue de se vider lentement de ses forces vives, sans que personne ne sonne vraiment l’alarme.


Rédacteur en chef
Rédacteur en chef
Articles: 1805

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *