Dans un contexte sécuritaire fragile marqué par les tensions persistantes en Afrique centrale et la déstabilisation du Soudan voisin, la République centrafricaine et le Tchad franchissent un cap important vers une coopération militaire renforcée. La nomination, entre le 21 et le 23 mai 2025, des premiers cadres de la Force Mixte de Sécurisation de la Frontière Commune (FMSFC) traduit la concrétisation d’un projet stratégique longtemps discuté au sommet des États.
Le général tchadien Moubarak Abakar Nassour Hor a été officiellement désigné comme commandant de cette nouvelle force, tandis que son adjoint, le général centrafricain Henri Charles Grengbo, dirigera aux côtés de lui les opérations. À leurs côtés, une équipe composée de plusieurs officiers des Forces armées centrafricaines (FACA) et de la gendarmerie nationale, spécialisés en opérations, renseignement et communication stratégique, formera le noyau opérationnel de la FMSFC.
Une réponse militaire à une menace transfrontalière
L’objectif affiché de cette force conjointe est clair : sécuriser une frontière de plus de 1000 kilomètres, devenue une véritable passoire pour les groupes armés transnationaux, trafiquants d’armes, milices et autres forces dites « négatives ». Ces derniers exploitent depuis plusieurs années la porosité frontalière pour mener des incursions, semer l’insécurité et entraver les efforts de pacification engagés par Bangui et N’Djamena.
Avec la détérioration rapide de la situation au Soudan, la frontière commune représente désormais une ligne de front stratégique. Le déploiement imminent de la FMSFC annoncé par des sources militaires centrafricaines vise à contenir l’effet domino que pourrait provoquer l’exportation de la crise soudanaise vers l’ouest.
Une coopération militaire testée par les réalités politiques
Si cette initiative témoigne d’une volonté politique affirmée entre le président Faustin-Archange Touadéra et le Maréchal-président Mahamat Idriss Déby Itno, elle n’est pas sans rappeler les tensions récurrentes entre les deux pays. Les accrochages frontaliers, les soupçons de soutien à des groupes armés respectifs ou encore les incidents diplomatiques passés pèsent sur la confiance mutuelle.
La FMSFC apparaît donc comme un pari sur l’avenir : celui d’une confiance renouvelée entre deux voisins souvent rivaux. Mais ce pari repose sur un équilibre délicat, dépendant autant de la loyauté des troupes que de la transparence dans les opérations et la répartition des responsabilités.
L’efficacité en question
Plusieurs défis majeurs guettent la FMSFC. D’abord, celui de l’intégration réelle des forces : la coordination entre deux armées au fonctionnement et à la doctrine souvent différentes risque de ralentir l’efficacité opérationnelle. Ensuite, la question logistique et du financement : qui portera le poids des opérations, dans un contexte où les ressources des deux pays sont déjà étirées par d’autres priorités sécuritaires ? Enfin, le contrôle démocratique et le respect des droits humains par les éléments de cette force mixte seront déterminants pour éviter des dérives souvent observées dans ce type d’opérations régionales.
Un avenir sous condition
À terme, la réussite ou l’échec de la FMSFC servira de modèle pour d’autres initiatives sécuritaires transfrontalières en Afrique centrale. Son efficacité pourrait favoriser une dynamique régionale d’interopérabilité militaire, voire inspirer l’Union africaine ou la CEEAC à institutionnaliser de telles coopérations.
Cependant, sans volonté politique constante, ni suivi rigoureux, la FMSFC risque de devenir une coquille vide ou pire, un instrument d’influence au service d’intérêts bilatéraux parfois contradictoires.
Pour l’instant, le temps est à l’optimisme prudent. Le déploiement prochain de la force sur le terrain marquera un test décisif : celui de la capacité des États africains à conjuguer souveraineté nationale et sécurité collective. Un défi majeur à l’heure où la paix régionale demeure l’un des piliers les plus fragiles de l’Afrique centrale.